L'art de la tapisserie à Portalegre
L'art de la tapisserie à Portalegre
L’Alentejo est souvent présenté comme une terre essentiellement agricole, d’élevage de bétail et de culture de céréales. Mais cette région abrite aussi d’importants secteurs industriels, notamment la transformation du liège (voir l’article du blog consacré à ce sujet) ou celui de la laine et du tissage.
La laine : une tradition ancienne
Le travail de la laine existe depuis longtemps en Alentejo. A l’image de ce qui se pratiquait dans le reste de l’Europe, la production et le tissage impliquaient jadis une interpénétration des relations entre la campagne et les centre urbains.
La production manufacturière n’a cependant commencé dans la région qu’en 1772 avec la création de la Manufacture Royale de Lainage de Portalegre, à l’initiative du célèbre marquis de Pombal.
Le choix de la ville de Portalegre n’est pas dû au hasard. En effet, elle est située dans une zone où la matière première, la laine, abondait. De plus, elle possédait une tradition bien établie de production d’étoffes de laine et disposait donc d’une main d’œuvre qualifiée. Et, dans une région où les ressources hydrauliques étaient faibles, Portalegre possédait des atouts non négligeables de part sa situation géographique en hauteur et sa proximité avec quelques rivières. Enfin, il existait un bâtiment suffisamment vaste et immédiatement disponible – le collège S. Sébastien des Jésuites- pour accueillir cette nouvelle industrie.
Au fil des années, la Manufacture Royale périclita. La tradition du tissage et de la production de tapis de sol subsista néanmoins tout au long du XIXe siècle.
La tapisserie à Portalegre : la création d’un homme
L’histoire de la tapisserie de Portalegre est récente. Elle s’inscrit dans un contexte artistique particulier, celui de l’après Seconde Guerre Mondiale. Elle commence en 1946, lorsque deux amis d’enfance, Guy Fino et Manuel Do Carmo Peixeiro, décidèrent de s’associer pour fabriquer des tapis de laine confectionnés à la main.
Le père de Manuel Do Carmo Peixeiro les engagea alors à se lancer dans la production de tapisseries murales. Son fils, en effet, avait inventé, lorsqu’il était encore étudiant en textile à Roubaix, un point de tissage particulier, plus tard appelé « point de Portalegre ». Les deux jeunes gens s’enthousiasmèrent pour ce projet : Manuel do Carmo Peixeiro car il voyait ainsi la mise en pratique de son invention ; Guy Fino parce qu’il était à la tête d’une entreprise textile et qu’il souhaitait diversifier ses activités commerciales.
Ainsi naquit la Manufacture des Tapisseries de Portalegre qui s’installa, elle aussi, dans le collège S. Sébastien des Jésuites.
La première œuvre produite le fut en 1948, à partir d’un dessin exécuté par Joao Tavares. Par la suite, Guy Fino s’attacha le concours d’artistes aussi importants que Julio Pomar, Maria Keil, Guilherme Camarinha, Renato Torres, Eduardo Nery ou Almada Negreiros.
Une reconnaissance internationale
La reconnaissance internationale intervint en 1952, de la part même des lissiers français venus au Portugal visiter la grande exposition « Les tapisseries françaises du Moyen-âge à nos jours ». Mettant à profit cet événement, Guy Fino décida de confronter les techniques de fabrication portugaise et française en exposant deux grandes tapisseries exécutées dans ses ateliers à partir de cartons de Guilherme Camarinha. Les Français ne purent qu’admirer la perfection du travail accompli.
Pour assurer le complet succès de l’entreprise, il restait néanmoins à attirer l’attention du rénovateur de la tapisserie en France : Jean Lurçat, artiste multiforme de renommée internationale. Un premier contact avait été noué entre les deux hommes en 1952. Guy Fino invita Lurçat à visiter sa manufacture en 1958. Pour le convaincre de l’excellence de sa production, il lui montra deux tapisseries réalisées à partir d’un modèle unique, « Le Coq ». La première avait été faite en France et offerte par Lurçat lui-même à l’épouse de Guy Fino ; la seconde était une réplique exécutée dans les ateliers de Portalegre. Mis en présence des deux œuvres, Lurçat choisit celle réalisée à Portalegre, persuadé qu’il s’agissait de l’original. Guy Fino lui prouva le contraire et Lurçat s’inclina devant la qualité du travail. Dès lors, et jusqu’à sa mort en 1966, il fit réaliser à Portalegre une grande partie de ses tapisseries.
Jean Lurçat
De l’aveu des personnes qui l’ont côtoyé, Guy Fino était un homme chaleureux et charismatique. Grâce à sa ténacité, à son dynamisme et à la sureté de ses goûts artistiques, il parvint en peu de temps à donner à sa manufacture une notoriété internationale. En plus de s’adjoindre la collaboration des plus grands noms de la scène artistique portugaise, il réussit également à intéresser des artistes aussi célèbres que Le Corbusier ou Salvador Dali.
Où art et technique se rejoignent
Manufacture de Portalegre
Les tapisseries de Portalegre sont toujours exécutées à partir d’une peinture originale, spécialement créée à cet effet. Elle est agrandie jusqu’à la dimension voulue sur un papier quadrillé, dont chaque carré représente un point de tissage, permettant un luxe de détails impressionnants.
Manufacture de Portalegre
Ce dessin est ensuite modifié pour respecter le contour des formes, les frontières entre les couleurs et les mille autres particularités qui doivent êtres transposés dans le tissage.
Ce travail minutieux ne n’arrête pas là. Il faut ensuite choisir les couleurs pour respecter l’équivalence entre la peinture originale et la palette de plus de 7000 nuances de laine de la manufacture, ce qui participe à la richesse chromatique des œuvres réalisées. Par ailleurs, la trame décorative est faite de huit fils, permettant ainsi de mélanger les couleurs et de reproduire la gamme tonale des œuvres d'art que les tapisseries reproduisent.
Les tapisseries de Portalegre sont réalisées manuellement sur des métiers de haute lisse, c'est-à-dire que le tissage est fait à la verticale. Mais la technique employée diffère de celle utilisée habituellement. A Portalegre, les tisserandes travaillent sur un canevas présenté à l’envers. De plus, la trame décorative s’enroule sur la chaîne en la recouvrant dès le premier passage ; à chaque point, deux fils de chaîne sont ainsi enroulés par la trame. Dans la technique française, en revanche, chaque couleur est tissée individuellement, ce qui implique la nécessité d’une couture afin d’éviter les espaces entre deux couleurs.
Manufacture de Portalegre
Dans la technique de Portalegre, le tissage progresse de bas en haut et horizontalement. Après chaque passage de la trame décorative, une fine trame de liaison est passée par croisement simple avec la chaîne. Cette trame de liaison, qui reste cachée par l’épaisseur de la trame décorative, évite de coudre les zones de différentes couleurs. Les tapisseries de Portalegre acquièrent ainsi une exceptionnelle fermeté de texture.
Si les projets de tapisserie sont conçus par des peintres de renom, ce sont les tisserandes qui, grâce à leur savoir-faire, vont donner, peu à peu, vie et beauté au dessin qu’elles ont constamment sous les yeux. Elles sont très loin d’être de simples exécutantes pour devenir, elles aussi, des artistes à part entière. Sans leur précieux concours, les tapisseries resteraient à l’état d’ébauches.
Une tisserande ne réalise quotidiennement pas plus de 5 cm en hauteur et 60 cm en longueur ; c’est dire la patience et la minutie qu’il faut déployer ! Le temps mis à terminer la totalité du travail dépend naturellement de la complexité du dessin ; mais il n’est pas rare qu’une tapisserie réclame une année entière pour sa complète réalisation.
Les tapisseries de Portalegre sont des séries limitées à 1, 4 ou 8 exemplaires du même original, toutes numérotées et signées par le peintre. Elles sont identifiées par un petit morceau de tissu cousu au revers du bolduc, qui porte le titre de l’œuvre, ses dimensions, le numéro de série et la signature du peintre.
Les tapisseries de Portalegre sont des pièces uniques qui possèdent un très grand pouvoir décoratif. Plus qu’une simple et banale reproduction, elles sont, en elles-mêmes et par elles-mêmes, de véritables œuvres d’art en raison de leurs dimensions, de leurs qualités propres et des moyens utilisés pour leur réalisation.
C’est pour cela que des artistes de réputation mondiale continuent de collaborer avec la manufacture, contribuant ainsi à maintenir vivant l’expression d’un patrimoine artistique qui allie beauté visuelle et exigence technique.
Julio POMAR
Des difficultés … passagères ?
On le voit, les tapisseries de Portalegre sont des objets de grand luxe et, comme tels, soumis aux aléas de la conjoncture économique. Ces derniers temps, la manufacture a été secouée par une grave crise. Des difficultés financières – dues, en partie, à une mauvaise gestion de l’entreprise se sont traduites par des plans de licenciement qui ont entraîné des grèves de la part du personnel. Il semble, néanmoins, que la pérennité de la production soir maintenant garantie, notamment grâce à l’intervention de la municipalité de Portalegre. Il serait, en effet, fort dommageable que disparaisse l’un des fleurons artistiques de cette belle région.
Ne manquez surtout pas, lors de votre séjour à Portalegre, de visiter le musée de la Tapisserie de Portalegre- Guy Fino.
Installé dans l’ancien hôtel particulier des Castel-Branco, le musée comprend des salles d’exposition permanente d’une grande richesse et un espace pour les expositions temporaires, destinés aux initiatives liées à la tapisserie et aux Arts Plastiques.
Adresse : Rua da Figueira Portalegre
Tél. : + 351 245 307 530
Horaires : 9h30-13h / 14h30-18h du mardi au samedi (fermé le lundi)
Vous pouvez également visiter la Manufacture des Tapisseries où vous découvrirez, dans un lieu récemment réaménagé, la manière dont sont réalisées les tapisseries.
ATTENTION : les visites se font uniquement sur rendez-vous.
Adresse : Rua D. Iria Gonçalvez, n°2 Portalegre
Tél. : + 351 245 301 400
Sources :
Manufacture des Tapisseries de Portalegre
Musée de la Tapisserie de Portalegre – Guy Fino
« L’industrie de la laine en Alentejo : acteurs et production (de la fin du XVIIIe siècle jusqu'à la fin du XIXe siècle) », Ana Cardoso de Matos, Département d’Histoire/CIDEHUS, Université d’Evora.
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